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  • Photo du rédacteurSamuel ML

Le programme de sécurisation aux abords des écoles, qu'ossa donne ?

Suite au décès de la petite Maria dans Ville-Marie qui s'est fait écrasée à mort en décembre dernier par un automobiliste fuyard, la Ville de Montréal a annoncé la bonification du programme de sécurisation aux abords des écoles (PSEA) [1] .


« En ayant doublé notre budget dédié à la sécurisation des déplacements, nous sommes déterminés à accélérer la transformation de nos milieux de vie partout à Montréal. »

Valérie Plante, mairesse de Montréal


Mais voyons plus en détails ce qu'est ce programme de sécurisation. Dans cet article de Radio-Canada [1], on peut lire qu'il s'agit principalement d'ajout de saillies de trottoir, de dos-d'ânes, de feux pour piétons à décompte.


Cela est définitivement un pas de la bonne direction. Qui peut être contre le fait d'apporter des modifications à nos routes dangereuses. La question ici n'est pas de juger si cela et bon ou mauvais mais si cela est suffisant et si ce programme apporte la meilleure sécurisation qui soit pour nos enfants qui désirent se rendre à l'école sans se faire écraser.


Concernant l'efficacité de certaines de ces mesures, on peut se tourner vers le Dr. Patrick Morency, spécialiste en santé publique. Selon les études qu'il a effectuées en 2016 dans quatre arrondissements montréalais, les saillies de trottoir réduiraient de 23 % le nombre de piétons blessés et que les dos-d’âne les faisaient baisser de 6 %. [3]


Donc encore une fois, répétons-le, c'est positif. Des saillies sont l'aménagement minimal que l'on devrait voir à toutes les intersections. Mais autour d'une école, je dois encore demander: est-ce suffisant ?


Opinions d'anciens de Projet Montréal


Deux anciens ténors de Projet Montréal, Luc Ferrandez, ancien maire du Plateau Mont-Royal et un des fondateurs du parti, Richard Bergeron se sont exprimés sur ces mesures et sont catégoriques: ce n'est pas suffisant.


À l'émission Commission Normand-Ferrandez au 98.5, Ferrandez s'est fait demander quel genre de sécurisation il avait fait faire sur le Plateau. Il répond assez clairement [4].


« Le concept c'est de partir avec les besoins de l'enfant, on se demande qu'est-ce qui permet la sécurité maximale de l'enfant à cet endroit, pas ce qui permet la cohabitation entre l'auto et l'enfant! »
« Qu'est-ce qui permet la sécurité maximale ? Si c'est d'enlever les autos, on les enlève, si c'est d'enlever la rue, on l'enlève, si c'est de mettre un sens unique, on le fait. C'est pas juste de mettre des saillies et puis on va mettre un passage piéton, ça ne suffit pas, ça ne marche pas. »

Luc Ferrandez, ancien maire du Plateau-Mont-Royal


Richard Bergeron, dans sa chronique à l'émission 15-18 à Ici Première, y va aussi sans détour [5]:


« Ça prend beaucoup plus que le petit programme prétendument de sécurisation autour des écoles. »

Richard Bergeron, membre fondateur de Projet Montréal, et ancien membre du conseil exécutif du maire Denis Coderre


Selon lui, ce sont des opérations "très légères" qui ont été faites. En se basant sur des exemples, notamment sur le site de la ville, entre le avant et le après, il dit qu'il faut avoir l'oeil aiguisé pour voir la différence. Il y voit un rééquilibrage minime entre l'espace piéton et l'espace auto qui passerait dans le meilleur des cas, de 20% piétons/80% auto, à 30% piéton/70% auto. La balance est souvent en faveur de la fluidité automobile.



Avant/après de réaménagement léger, école Saint-André Apôtre, Ahuntsic-Cartierville, Montréal


En entrevue à ICI RDI, il continue:


« Il faut passer par la contrainte physique du réaménagement de l’espace. »
« Il faut enlever des bouts de rue, il faut transformer des rues bidirectionnelles en des rues unidirectionnelles, c’est tout un ensemble. »

Richard Bergeron


Intérêt supérieur de l'enfant


C'est l'intérêt supérieur de l'enfant qu'il faut chercher à atteindre. Les mesures comme des saillies et des passages piétons sont au fond des mesures de cohabitation entre les autos et les enfants. On cherche à continuer d'avoir des autos qui circulent tout en réduisant un peu les risques et la gravité des collisions. Est-ce que cela revient positionner l'automobile dans notre ville ? Est-ce que cela vient changer les habitudes de mobilité des gens ? Est-ce que ça permet aux enfants d'aller à l'école en pleine autonomie ?


Ce n'est pas juste une question de sécurité, les enfants marchent moins qu'avant pour se rendre à l'école, font moins d'exercice et serait donc moins en santé. La Presse concluait en décembre dernier que "la condition physique cardiovasculaire des enfants et des adolescents québécois a subi une détérioration alarmante depuis les années 1980" [9]. En 2015, le Soleil relevait aussi des faits intéressants. [10]

En 40 ans, le nombre d'enfants d'âge primaire qui marchent ou pédalent pour aller à l'école a chuté drastiquement de 80 % à 30 %. Les parents évoquent des raisons de sécurité et leurs horaires de travail pour expliquer le fait qu'ils préfèrent reconduire leur progéniture en voiture.

D'autres articles encore plus loin dans le temps faisaient déjà état de ce recul considérable du transport actif pour aller à l'école. [11]


Exemples de sécurisation


J'ai eu la "chance" l'année dernière de bénéficier du programme à l'école de ma plus grande. L'école Louis-Colin dans Ahuntsic a été "sécurisée" selon la ville. Un fonctionnaire de la ville a pu mettre un crochet sur cette école.


Je dois avouer que nous n'étions pas à plaindre par rapport à bon nombre d'écoles, une piste cyclable avait été érigée en 2020 donnant une option de mobilité supplémentaire au quartier et aux élèves.


Par contre, ce qui était dangereux avant l'est encore: les voitures c'est-à-dire les automobilistes, de transit passant en grand nombre, et certains autres, parents qui déposent leurs enfants le plus près de la porte possible sont encore de la partie. La direction de l'école a même dû intervenir auprès des parents en leur rappelant d'éviter de se stationner en double sur la rue.


Chaos matinal à l'école Louis-Colin, Ahuntsic-Cartierville, Montréal


Certaines sections de trottoir crevassées ont été réparées, mais sans pour autant les élargir. On reste dans le 1,5 mètre, ce qui est loin d'être suffisant pour un lieu piéton achalandé. Les enfants et parents qui s'agglutinent sur le trottoir se font presque ouvrir des portières d'auto sur le corps.

Chaos matinal à l'école Louis-Colin, Ahuntsic-Cartierville, Montréal


Mais où est la sécurisation ?


Nous avons bénéficié de trois saillies de trottoirs aux abords immédiats de l'école et deux autres un peu plus loin ainsi que trois dos-d'âne supplémentaires, qui doit-on le dire sont aussi posées sur les rues résidentielles ne bordant pas d'école.


Saillie aménagée à l'école Louis-Colin, Ahuntsic-Cartierville, Montréal


C'est vrai que ce programme accélère ce qui fait consensus pour la sécurité des piétons en général et cela cible et donne du budget pour prioriser un certain nombre d'écoles chaque année.


Mais dans mon exemple, qu'est-ce que l'automobile a perdu au profit de la sécurité du piéton ? Qu'est-ce qui a été cédé ? Rouler moins vite vous me direz ? Certes, un dos d'âne bien réalisé force à ralentir à l'approche d'un élément auquel on veut porter une attention particulière comme une école, ou un passage piéton. Une saillie de trottoir permet d'éviter les virages trop larges souvent pris à grandes vitesses et raccourcit légèrement la traversée du piéton. Mais sur une rue déjà à 30 km/h, est-ce que l'automobiliste a réellement cédé un privilège ? Est-ce qu'il peut toujours circuler au moment qu'il veut devant l'école, trouver une place de stationnement gratuite, ou sinon se stationner en double le cas échéant sans être inquiété par la police ?


Je dirais que quelques 3 ou 4 places de stationnements ont été condamnées par la réalisation des saillies, 1 seule peut-être si on considère que 3 stationnements étaient déjà illégaux, car trop rapprochées de l'intersection.


Mais au final, rien ne change vraiment. On voit encore les mêmes parents qu'avant, pressés d'arriver au travail, qui débarquent leurs enfants sauvagement sur le bord de la porte (une directrice d'école dans Ville-Marie appelle ce phénomène "le syndrome de la porte"). On voit encore les automobilistes en transit désirant économiser du temps, en passant par des rues accommodantes en leur permettant de faire de longues distances sans changer de sens.


Un autre bon exemple où on peut se rendre compte que le programme de sécurisation n'est pas suffisant est à l'école de la Visitation, aussi dans Ahuntsic-Cartierville. À plus d'une centaine de mètres de là, à l'intersection Prieur et Papineau, une brigadière a été happée le mardi 10 janvier 2023 par une automobiliste pressée, bien irritée de ne pas pouvoir repartir immédiatement après la collision [6]. Encore une fois, l'enjeu du transit n'est pas traité. Souffrant particulièrement de la circulation intense venant de l'avenue et du pont Papineau et du sens continu de la rue Prieur, le flot automobile y est infernal. Il est illusoire de croire que des saillies de trottoirs et des passages piétons sécurisent réellement le trajet des écoliers.


File de voitures interminable à l'intersection de Prieur et Papineau, près de l'École la Visitation, Ahuntsic-Cartierville, Montréal


Pour faire mieux, on peut réaliser des rues-écoles qui interdisent de manière permanente ou temporaire la circulation autour d'une école pour inciter à un changement de comportement.

À Montréal, quelques projets pilotes ont été faits depuis plus d'un an et on tarde toujours à les pérenniser [7]. À Paris, ce sont 168 rues-écoles qui ont réalisées depuis 2020 [8].


Mais pas besoin nécessairement d'aller trouver des exemples dans d'autres pays, le Plateau Mont-Royal a mis en place plusieurs stratégies dont certaines sont montrées sur la section du site traitant des aménagements.


Dans certains cas, on est passé par des fermetures complètes de rues. On peut voir un exemple avec la création de la place Andrée-Lachappelle coin St-Dominique et Fairmount dans le Mile-End devant l'école secondaire Robert Gravel.


On a fermé un bout de rue, réaménagé l'espace, verdi, ajouté du mobilier.


Avant/après, rue Fairmount devant l'école Robert Gravel, Plateau-Mont-Royal, Montréal



Je parle plus amplement de cette place, que je qualifie de joyau, dans ce tweet.


En dehors du programme de sécurisation, certains projets sur le Plateau ont été faits sans pour autant enlever totalement la circulation automobile. Le meilleur exemple d'humanisation des abords d'une école dans ce contexte est probablement l'école Laurier, près de la station de métro du même nom. L'avenue Laurier, bidirectionnelle, avec des trottoirs minuscules et une canopée pauvre a subi une transformation massive. Non seulement les trottoirs ont été élargis des deux côtés, mais on a fait passer la rue à sens unique, implanté deux aménagements cyclables et planté des arbres. Le stationnement auto a été retiré et des stationnements vélo ont été ajoutés. L'espace public auto vs piéton/vélo a été grandement revu. En plus du gain en confort et en sécurité, c'est aussi un gain en beauté de l'espace public pour les gens qui déambulent près de l'école.


Avant/après, avenue Laurier devant l'école Laurier, Plateau-Mont-Royal, Montréal


Des actions en amont comme un déviateur sur la rue Berri ont été faites pour contraindre la circulation.

Avant/après, rue Berri à côté de l'école Laurier, Plateau-Mont-Royal, Montréal


On pourrait sortir d'autres exemples sur le Plateau de réaménagement conséquent mais surtout une longue liste d'écoles qui se sont vues "sécuriser" leurs abords sans réellement les sécuriser, mais il faut en venir à une conclusion : il y a trop d'autos sur nos routes. Le parc automobile croit plus vite que la population et la ville de Montréal qui est une île, n'est pas en expansion. Il faut contraindre cette circulation, la tarifer, l'enlever par endroit s'il le faut. Tant que l'on visera à dégrader le moins possible "l'expérience auto" autour d'une école, que la cohabitation entre l'auto et l'enfant sera l'objectif, on réalisera peu de gains en termes de sécurité et de changements d'habitude.


Et ceux qui craignent le déplacement de la circulation et de la congestion dans des rues artérielles limitrophes, les constats vus ailleurs dans le monde sont tout autre: un apaisement de la circulation dans les rues de quartier a un impact minime sur le trafic dans les artères où le trafic est redirigé: on appelle ce phénomène "l'évaporation du trafic". Phénomène dû aux changements de comportement des gens suite à la mise en place de contraintes [12].


Les solutions sont connues, il faut maintenant la volonté politique et l'allocation des budgets nécessaires. Comme le disait Richard Bergeron à la fin de sa chronique au 15-18 [5], s'il faut des centaines de millions pour sécuriser les piétons, ça coûtera des centaines de millions, on a mis des milliards depuis les années 50 pour adapter les villes aux automobiles.


Sources:




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